Entrepreneuriat & maternité : l’équilibre est possible, mais pas seule
- lesalfredines

- 30 juil.
- 5 min de lecture
Cet article est sans doute le plus intime que j’ai écrit ici. Ce n’est ni un bilan pro, ni un retour de projet, mais un sujet important qu’on tente trop souvent d’invisibiliser : la difficulté de la reprise du travail après un congé maternité. J’ai longtemps hésité à en parler. Et puis je me suis dit que si on veut que les choses changent, il faut commencer par les nommer.
Claire
Il y a un an, je reprenais le travail après 16 semaines d’arrêt maternité. Et j’ai pris une claque.
Je ne l’avais pas anticipée. Pas dans cette ampleur.
Cela faisait 8 ans que j’avais fondé mon studio graphique. J’aimais profondément mon métier, mes projets, mes client·e·s. Travailler ne m’avait jamais pesé. Je n’avais jamais connu la fameuse « boule au ventre du dimanche soir ». Alors j’ai cru que tout irait bien. J’avais trouvé un mode de garde solide et serein et j’étais sincèrement heureuse de retrouver ma casquette d’entrepreneuse et les personnes avec qui je travaillais. Mais une fois revenue, rien n'a été simple.
Le grand écart impossible : maternité et entreprenariat
Ce que je n’avais pas anticipé :
La fatigue qui ne s’éteint pas et ce brouillard dans le cerveau
La charge mentale toujours en arrière-plan : horaires de crèche, couches, allaitement, fièvre,...
La difficulté de laisser un si petit bébé à des inconnues (aussi professionnelles et gentilles soient-elles)
Le corps qui met du temps à se rétablir
La sensation de ne plus être complètement à sa place nulle part
Le sentiment de faire de son mieux tout le temps et d'avoir pourtant l'impression de tout rater
La lourdeur de l'incompréhension de certain·e·s
Et autour, une injonction silencieuse mais omniprésente : faire comme si de rien n’était. Comme si avoir un enfant ne changeait rien à ta disponibilité, à ta concentration, à ton quotidien. Comme si les journées n’étaient pas chronométrées jusqu’à la dernière minute. Non, je ne peux pas caler une réunion à 17h30. Non, je ne répondrai pas à vos messages à 20h30. Non je ne peux pas partir en déplacement dans une autre ville pour une réunion. Et non, je ne suis pas moins professionnelle pour autant.
Ce n’était pas moi, c’étaient les conditions
Pendant des mois, j’ai cru que je n’étais plus faite pour l’entreprenariat. Je rentrais en larmes et je m'effondrais à l'idée de ne pas être assez. Quelques semaines après ma reprise, j'étais presque prête à l'accepter : la maternité m'avait changée, je n'étais plus capable de passion entrepreneuriale, tant pis c'était comme ça, mon bébé est ma seule vérité et ma priorité. J'y mettais toute mon énergie mais j’ai cru que j’échouais des deux côtés : ni une bonne pro, ni une bonne mère. Bye bye, les 8 ans de construction des Alfredines, pourquoi ne pas partir élever des chèvres dans le Larzac.
Et puis j’ai compris. Ce n’étaient pas mes roues qui étaient cassées. C’était qu’on y avait glissé des bâtons. Et qu’on ne m’avait pas appris à les repérer ni à les retirer. Alors j’ai cherché, tâtonné, tenté. Et, surtout, j’ai trouvé.
Celles (et ceux) qui m’ont aidée à me retrouver
Le réseau Mam’preneurs
Un cercle de femmes qui vivent à la fois la maternité et l’entrepreneuriat. Chaque mois, dans de nombreuses villes, elles se retrouvent pour une matinée d’échange, de formation, de respiration. Pas de faux-semblants. Pas besoin d’expliquer pourquoi tu as les yeux cernés ou pourquoi ton temps est compté. Un espace de sororité sincère, motivant, profondément humain. C’est précieux. Et ça m’a permis de me sentir à nouveau légitime.
Je ne peux que le conseiller à toutes celles qui sont dans cette situation (même avec de grands enfants).
Leur site : reseau-mampreneures.org
Un père à égalité
Bien sûr, il y a le père. Pas un « papa impliqué » ou un « second parent », non, un parent à part entière. Quelqu’un qui ne « m’aide » pas mais prend sa part, en entier. Quelqu’un qui gère autant que moi les repas, les rendez-vous médicaux, les pleurs de 3h du matin, les lessives, les chaussettes trop petites et les départs en crèche. Quelqu’un qui a aussi du apprendre à dire qu'il devait partir à l’heure, parce que c’était son jour à lui d’aller chercher notre bébé. Quelqu’un qui a compris, dès le début, que ce temps-là ne reviendrait jamais, que notre fille ne serait plus jamais aussi petite, et que sa présence comptait tout autant que la mienne. Ce soutien-là, cette évidence partagée de parentalité à égalité, a été une base solide. Et sans cette base, tout aurait été beaucoup plus dur à tenir.
Mon associée, Juliette
Juliette n’est pas mère. Et pourtant, elle a été là. Elle a su écouter sans minimiser. S’adapter sans juger. Elle a pris le temps, avec moi, de réfléchir à des solutions pérennes : des ajustements d’organisation, des marges de flexibilité, une répartition des responsabilités réaliste. C’est rare et c'est pourtant si précieux. Et ça mérite d’être salué (des bisous Jul').
Les client·e·s qui comprennent
2024 a été une année pleine de changements, parfois brutaux, pour notre collectif, les Alfredines. Et malgré tout, nos client·e·s sont resté·e·s. Non pas par indulgence, mais par confiance. Ils et elles ont regardé la qualité de notre travail et de nos créations, pas nos horaires. Ils et elles ont accepté que les réunions se terminent tôt. Ils ont fait preuve d’une humanité précieuse, dans des projets pourtant très techniques. Merci, vos projets me passionnent et vous m'auriez manqué dans le Larzac.
Mon bébé (qui dort enfin !)
On n’ose pas le dire parfois, mais le simple fait que ton enfant commence à dormir peut changer la donne. J’ai retrouvé du sommeil. Et avec lui, de l’énergie, de la clarté, de l’envie. J'ai aussi découvert la facilité d'adaptation des touts-petits et je l'ai remerciée d'être si forte et indulgente avec sa Maman qui apprend.
Des lectures et écoutes inspirantes
Certains livres et podcasts m’ont aidée à mettre des mots sur ce que je vivais. À comprendre que cette sensation de flou, de perte de repères, est normale. Et surtout : qu’elle passe. Petit à petit. Ma petite liste non exhaustive :
🎧 Podcasts
"La Matrescence" – Clémentine Sarlat > Des interviews sur la transformation identitaire liée à la maternité (très utile pour normaliser les émotions contradictoires de la reprise).
"Les couilles sur la table" – Victoire Tuaillon > Notamment l’épisode "À la recherche des nouveaux pères", pour comprendre les enjeux d’égalité parentale.
La série "Déflagration" du podcast Sage-Meuf - Anna Roy > Où comment parler avec les mots justes du chamboulement après la naissance
📚 Lectures
"Ceci est notre post partum" – Illana Weizman > Défaire les mythes et les tabous pour s'émanciper
"Le post-partum dure 3 ans" – Anna Roy > Une sage femme très sage qui parle de ce long voyage qui commence après l'accouchement
Des initiatives qui montrent que c’est possible
Voir émerger des projets comme le Salon Indéparents, qui créée une communauté des parents indépendants et valorise les rythmes humains… Ça me rassure. Ça me donne confiance. Ça me montre que ma situation n’est pas un accident de parcours, mais une réalité compatible avec une autre façon d’entreprendre.
Aujourd’hui...
Aujourd’hui, j’ai retrouvé une forme d’équilibre où je suis heureuse. Pas parfait, pas figé. Mais une base solide pour entreprendre avec joie, créer avec sens, vivre avec plus de justesse. J'arrive le matin heureuse de retrouver mes clients, partenaires et associée et je pars (tôt) le soir impatiente de passer du temps de qualité avec ma plus-si-petite. Si je partage tout ça, ce n’est pas juste pour raconter ma vie (pourtant passionnante). C’est pour qu’on parle, enfin, de ce retour invisible après 9 mois à créer un être humain, un accouchement, 16 semaines d'arrêt (et non pas de "congé") maternité. Du brouillard post-partum où chaque aide est une bouée. Des efforts titanesques qu’on ne dit pas. Des soutiens qui changent tout.
Et pour celles (et ceux) qui galèrent en silence : vous n’êtes pas seules. Ce n’est pas vous le problème. C’est ce qu’on vous demande d’ignorer.



